Baux précaires et de courtes durées

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« Convention d’occupation précaire », « Bail précaire », « Bail dérogatoire », « bail de courte durée » : gare aux confusions !

Le statut du bail commercial est rigide. Au moins en ce qu’il engage les parties sur le long terme (le fameux 3/6/9). Deux régimes permettent néanmoins, sous certaines conditions, de s’en extraire : la « convention d’occupation précaire » et le « bail dérogatoire d’une durée maximale de trois ans ». Leurs conditions d’application et leurs conséquences diffèrent. Il arrive encore que des actes faussement intitulés « bail précaire » soient en réalité des baux dérogatoires au sens de l’article L 145-5 du code de commerce. La distinction est donc d’importance.

  1. LA CONVENTION D’OCCUPATION PRECAIRE

Née de la pratique, elle se définit comme « le contrat par lequel le propriétaire d’un local en confère la jouissance à une personne, à titre précaire et révocable, moyennant le paiement d’une redevance. » (M-P Dumont, Dalloz Baux Commerciaux n°74).

  • Critères

Seul un motif légitime de précarité justifie le recours à cette convention. La précarité doit résulter de l’intention réelle des parties et la seule qualification de « convention d’occupation précaire » (et encore moins de « bail précaire ») ne suffit pas ! Plusieurs indices permettent de retenir la qualification de convention d’occupation précaire :

  • Persistance de la convention tant que perdure la circonstance qui a justifié sa conclusion, d’où la précarité.
  • Faculté de mettre fin à la jouissance des lieux à tout moment, sans préavis ou avec un bref préavis.
  • Une redevance modique (incomparable à la valeur locative réelle du local).
  • Absence d’obligation d’entretien des lieux ou l’absence de charges locatives pour l’occupant

Des circonstances particulières et objectives doivent, outre l’intention des parties, constituer un motif légitime de précarité, notamment : 

– la situation de l’immeuble loué : occupation consentie dans l’attente d’une expropriation, dans l’attente de la création d’une zone industrielle, dans l’attente de la reconstruction des locaux de l’occupant détruit par un incendie, dans l’attente de l’obtention d’un prêt dans le cadre d’une promesse synallagmatique de vente pour l’achat du local, convention conclue par le mandataire judiciaire d’une société dans l’attente d’un jugement relatif au droit de propriété de la société sur les locaux …

  • Modalités de l’occupation : occupation consentie de façon discontinue ou temporaire, situation géographique particulière de la surface louée (superficie approximative dans un grand magasin avec accès limité aux seules heures d’ouvertures…), kiosque mobile dans un hypermarché…

Régime juridique

La convention d’occupation précaire n’est soumise à aucun formalisme. La prudence recommande évidemment la rédaction d’un écrit.

La convention d’occupation précaire n’est :

  • ni un bail de droit commun ;
  • ni un bail commercial : pas de droit au renouvellement ni à indemnité d’éviction, renouvellement de la convention précaire tant que les conditions de précarité sont réunies ;
  • Le maintien dans les lieux à l’expiration de la période prévue ne transforme pas la convention en bail commercial dans la mesure où le motif de précarité perdure.

En revanche, les tribunaux requalifient en bail commercial la convention d’occupation précaire conclue dans le seul but d’échapper aux règles du bail commercial en recherchant l’intention des parties et les circonstances qui ont motivé la conclusion de la convention.

  1. LE BAIL DE COURTE DUREE DE L’ARTICLE L145-5 DU CODE DE COMMERCE

L’article 145-5 du code de commerce dispose que :

« Les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.

Si, à l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre [régissant le statut du bail commercial].

Il en est de même, à l’expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d’un nouveau bail pour le même local. »

L’objectif est double : 1°. Permettre au bailleur de ne pas s’engager à long terme. 2° Permettre au locataire de tester la qualité de l’emplacement.

On parle de « bail dérogatoire » car il « déroge » au statut des baux commerciaux. Ainsi, la dénomination « bail précaire » est à proscrire car la notion de précarité est exclue du régime de l’article L145-5 et provoque une confusion avec la convention d’occupation précaire.

Conditions du bail de courte durée

Le bail dérogatoire doit être conclu lors de l’entrée dans les lieux : le locataire ne doit pas être déjà installé dans les lieux.

La durée du bail ou des baux dérogatoires successifs ne doit pas dépasser 3 ans (inutile de limiter ces baux à 35 mois : quelle que soit la durée de ce bail, la jurisprudence applique les mêmes conséquences à tout dépassement).

La dérogation au statut des baux commerciaux doit découler de la commune intention des parties qu’il faut donc mentionner expressément dans le bail.

– Application du statut des baux commerciaux à l’expiration du bail de courte durée

Au terme du bail, le locataire doit quitter les lieux. Le locataire ne dispose pas de droit au renouvellement et ne peut prétendre à une quelconque indemnité d’éviction.

A la différence de la convention d’occupation précaire, si à l’expiration du bail le locataire reste dans les lieux sans opposition du bailleur, il s’opère un nouveau bail automatiquement soumis au statut des baux commerciaux. De même si les parties entendent renouveler le bail ou en conclure un nouveau. D’où l’importance d’une qualification correcte dès l’origine. Un écueil que le recours à un professionnel du droit devrait vous éviter !

En pratique, le bailleur souhaitant échapper à ce mécanisme doit donc avant la date d’expiration du bail dérogatoire manifester sa volonté de ne pas poursuivre sa relation contractuelle avec le locataire (lettre RAR ou par voie d’huissier). Le bailleur peut aussi donner congé pour la date d’expiration du bail dérogatoire. A défaut, un nouveau bail, cette fois un bail commercial « classique », prendra effet au lendemain de la date d’expiration du bail dérogatoire.

– Renonciation au bénéfice du statut du bail commercial

Le locataire peut renoncer au bénéfice du statut et conclure un nouveau bail dérogatoire de trois ans au plus si deux conditions sont réunies :

  • la renonciation à l’application du statut du bail commercial ne peut intervenir qu’une fois que le locataire a acquis le droit au bénéfice du statut. Mais la renonciation ne doit pas être contenue dans le bail initial ni dans un avenant signé avant l’expiration du bail dérogatoire;
  • la renonciation au statut du bail commercial doit être sans équivoque. Tel n’est pas le cas en cas de simple conclusion d’un deuxième bail dérogatoire. Le locataire doit expressément déclarer renoncer à la propriété commerciale.

Enfin, en cas de renonciation au statut du bail commercial, il semblerait que les parties puissent décider de le considérer comme relevant du droit commun du bail et le faire ainsi échapper aux dispositions de l’article L145-5 du code de commerce et à l’application du statut du bail commercial au terme de ce second bail.

En définitive, en ces temps de reprise économique espérée, le bail dérogatoire de l’article 145-5 du code de commerce se présente comme un outil efficace aussi bien pour le locataire à la recherche d’un emplacement à tester, que pour le propriétaire en quête d’un locataire dont il pourra appréhender le sérieux, la solvabilité et avec un engagement moindre.